Entre les pages, des fleurs ont séché parmi
les paysages croqués au crayon noir sur du papier de rebut.

Ma mère le tient chaque soir contre elle depuis
plus de quarante ans, depuis ce mai funeste où sa mère mourut.

Sur la première page est la signature juvénile de ma grand-mère
institutrice sur son île quittée tôt et jamais rejointe.

Pourquoi l'ai-je vu si tard ce livre essentiel, succès de librairie
du dix-neuvième finissant en un romantisme étiré jusqu'à l'oubli ?

Je ne vous parlerai pas des poésies d'Augusto Ferrán qu'il exalte.
Il me faudra les lire, lentement, cette Solitude, cette Paresse,

ces cahiers de vers simples et clairs. Ma grand-mère jeune les a aimés,
elle les a emportés dans l'âge mûr comme le vademecum de son île quittée.

Ma mère les regarde et l'y voit en nous souriant, à mon frère et à moi.
Est-il plus beau témoin que ces vers étrangers voguant dessus les siècles ?

Il faudra s'en montrer digne, avant de les transmettre, silencieusement,
à nos enfants rêvant d'îles nouvelles dans leur intimité de feu.