"Il paraît qu'après un certain temps,
la passion s'affaiblit" scande la chanteuse
belge dans le coin droit du plafond.
Ma bouche a encore le goût de la salade
de pommes de terre que nous partageâmes
naguère sur ce parking d'une banlieue
désertée par le pont du jour du Travail.

Non, la passion ne s'affaiblit pas qui me pousse
à délaisser un article de pédagogie de la traduction
poétique —oxymore hérissant—, pour t'écrire
hâtivement. Les vitres claires dégouttent les pleurs
du ciel et de nos corps séparés. Nos yeux se perdent,
tous quatre, sur un écran clair et muet.

Documentaliste minutieuse, tu classes des documents
pour de mystérieux fournisseurs ; voyageur impénitent,
je fais de ma chaise dure un tapis volant de l'ici
vers le là. Vingt-deux joueurs de métal peuvent-ils
gommer la nostalgie de la Kabylie laissée loin ?

Mais déjà les clients se déplacent pour jouer aux
dominos derrière moi. Je pense à tes poignets clairs
sur la table de bois. Mes yeux les caressent derrière
l'écran et je me fais électron rapide pour franchir

lignes, prises et commutateurs et chatouiller le creux
de ta paume qui s'endort peu à peu sur la souris d'onyx.
Deux heures et demie sonnent. Le sauveur est loin sur sa croix

et je nous vois tous deux réunis dans moins de trois heures
tout au nord du Vaucluse dans ce village au nom satanique

où les draps ont l'odeur des rives du Rhône au lever du soleil.