L'oubli et les odeurs
Par Michel Bourret Guasteví le mercredi 5 mars 2014, 08:13 - l'écume des jours - Lien permanent
J'avais oublié mon portable dans la voiture
garée le long du port. Le quartier ne me semblait
pas sûr. J'y retournai à foulées rapides, retrouvant
garée le long du port. Le quartier ne me semblait
pas sûr. J'y retournai à foulées rapides, retrouvant
le plaisir de la course urbaine. J'étais rouillé, respirais
comme une vieille forge. Mes poumons s'emplissaient des odeurs
d'iode de la criée non loin. Des hommes transportaient des caisses
de poissons. Me revint alors une expression médiévale que j'affectionne :
"la caque sent toujours le hareng". Ça sentait bon. Tout contre le quai,
les hauts chalutiers rouillés de saumure et d'embruns. Un monde humble
et essentiel. En arrivant à la voiture, je levai les yeux. Une statue de
la vierge ouvrait la main droite à hauteur de la taille. Une Bonne-Mère
en petit, tant Sète se veut le calque de Marseille. Mais qu'avait fait
l'Étoile de la Mer pour ces marins perdus, sous-payés, oubliés ? Sur le chemin
du retour, un fourgon frigorifique Mercedes frappé du chiffre 13 attendait de
se gorger de poissons recherchés pour des restaurants de la côte qui proposeraient
des menus sans commune mesure avec le salaire des forçats de la mer. Sur ma gauche,
un petit bistrot proclamait "Aquí sian bé". C'est vrai que l'on devait y être bien,
à grignoter la tielle brûlante entre deux gorgées de picpoul. Le sourire d'Hadrien
qui feignit de se jeter dans mes bras avant de repartir en arrière en accélérant la
course me rappela que j'étais bien, les yeux remplis de ces détails infimes, que je
ne narrai pas sur l'instant et que la nuit finit par mûrir en une fulgurance odorante.
comme une vieille forge. Mes poumons s'emplissaient des odeurs
d'iode de la criée non loin. Des hommes transportaient des caisses
de poissons. Me revint alors une expression médiévale que j'affectionne :
"la caque sent toujours le hareng". Ça sentait bon. Tout contre le quai,
les hauts chalutiers rouillés de saumure et d'embruns. Un monde humble
et essentiel. En arrivant à la voiture, je levai les yeux. Une statue de
la vierge ouvrait la main droite à hauteur de la taille. Une Bonne-Mère
en petit, tant Sète se veut le calque de Marseille. Mais qu'avait fait
l'Étoile de la Mer pour ces marins perdus, sous-payés, oubliés ? Sur le chemin
du retour, un fourgon frigorifique Mercedes frappé du chiffre 13 attendait de
se gorger de poissons recherchés pour des restaurants de la côte qui proposeraient
des menus sans commune mesure avec le salaire des forçats de la mer. Sur ma gauche,
un petit bistrot proclamait "Aquí sian bé". C'est vrai que l'on devait y être bien,
à grignoter la tielle brûlante entre deux gorgées de picpoul. Le sourire d'Hadrien
qui feignit de se jeter dans mes bras avant de repartir en arrière en accélérant la
course me rappela que j'étais bien, les yeux remplis de ces détails infimes, que je
ne narrai pas sur l'instant et que la nuit finit par mûrir en une fulgurance odorante.