Elle ne le sait pas mais avant-hier, devant les apprentis
médiateurs de Béziers, j'ai lu l'Art poétique de Gil de Biedma
écrit cette année-là, lui qui était à Collioure aux côtés de Gumersind.
Il y parlait de ces mots tiédement usés qui sont la richesse des humbles,
notre richesse. Ces mots que mon père m'a donnés, qu'elle m'a chantés,
et que vous voyez à présent, délicates gemmes dedans mes pauvres mains.

Ce jour là, un vingt du mois de novembre, seize années tout rond
avant qu'un dictateur ne meure seul au fond d'un lit d'hôpital,
elle sut entrebailler le rideau de perles froides de la triste Malo
pour convoquer sur un lit de lin étincelant, les goûts et les odeurs
de son Roussillon natal qu'émerveillés les gens du Nord découvraient enfin.

Et elle me tint en ses bras cependant que mon père, retardé par un repas
frugal dans un restaurant bleu, du nom de l'hirondelle, accourait, essoufflé,
les doigts gourds, les mains aimantes. Les bruits perçaient mal de la ouate
environnante, la clinique allait fermer, j'étais son dernier nouveau-né.

Les hauts-fourneaux bouillonnaient et dégorgeaient l'acier roux que les tréfileries
s'apprêtaient à allonger en fils dépourvus de pointes barbelées. C'étaient les Trente
glorieuses. Nous étions pauvres mais tous avaient du travail, nous aimions le peu.

Je brasse les photos noir et blanc de ces temps si certains et pour moi faits
de pointillés et de points d'interrogation. Une seule certitude, en ce jour d'aujourd'hui :

je leur dois la vie, à elle, à lui, et puissent les années nous étreindre à jamais.