"On ne voit bien qu'avec le cœur". Mes yeux
sont injectés de sang. J'ai regardé des centaines

de clichés sur un coin de table, dans un café bondé,
artificiellement réfrigéré. Dix ans. Mes enfants si beaux

et déjà si eux malgré l'âge tendre et l'attitude incertaine.
Des vacances éloignées et pourtant si présentes. Un goût

d'omelette aux courgettes dans une villégiature de Bourgogne,
l'odeur de la plage en fin de saison, tout près de Perpignan.

Mes yeux, qui ne voient plus, une fois l'écran refermé, laissent
parler le cœur qui te relie à ce passé que tu ne connus pas et

que, l'imagination aidant, je commence à te faire partager, comme
tu me fais partager cet incident mineur survenu cet après-midi

et que tu me dévoileras dans un peu plus d'une heure. Yeux clos
et cœur ouvert, tu deviens mille et une. Ta peau se bariole

de vêtements cent et ta voix traverse le temps. Une fois le dernier
vers écrit, j'ouvrirai le Phèdre de Platon et je sais déjà que je

t'y retrouverai sur la berge ombreuse de l'Ilissos, tout près du haut
platane où conversent Socrate et Phèdre, pieds nus, le cœur au bord des lèvres.