Depuis, je les regarde de profil comme trois statues de
l'île de Pâques. Aussi graves, mais colorées et animées.
Les dos imprimés hument le ciel,

Le serrement les égalise. Pourtant que de différences entre
les grands livres, les petits, les épais, les minces,
les entoilés, les pleine peau,

les reliés, les brochés... Autrefois je tentais vainement de
les classer, maintenant c'est délibérément que je les laisse
s'agencer seuls au hasard des mains.

Je me lève et cueille des vers en suivant la brise du matin.
Je me penche, à droite, encore à droite. Une anthologie de
la poésie française du XXe siècle.

Mon pouce gauche a fendu l'ouvrage à la page 423. Huit vers
de Louis Brauquier. Connaissez-vous ce modeste buveur de
paysages ? Je vous les glisse, appréciez :

"D'étranges matins blancs se lèvent sur Sydney.
Dérivant lentement de la mer antarctique
De grands brouillards confus enveloppent la ville
où flottent d'anciens parcs et des banques de pierre,
Des fantômes de rues et des ombres opaques
D'hommes vite abolis, et que nul ne rappelle
De ces limbes qu'un jour aucun soleil peut-être
Ne viendra disputer aux glaces du néant."

Vous aimez ? Alors je vous invite à visiter ma petite
librairie montaignienne au 35 de la rue biterroise
de Montaillou.

Il y flotte la brise du grand large. Fermez les yeux. Saint-John
Perse vous attend. Prenez le transatlantique lourd qui ne
déçoit jamais.